Bonjour à tous,
Voici un nouveau plan de vol de Michel Lagneau.
Bonne lecture et bon vol.
Cordialement.
Shag
1926 : La Patrouille Elcano sous Flight Simulator © Michel Lagneau 2017
Dans les années 1920 les lignes aériennes commerciales se développaient en Europe. Les raids longue distance se multipliaient vers l’Afrique, l’Extrême Orient et l’Asie défrichant de vastes territoires en vue d’établir de nouvelles liaisons aériennes régulières. L’Espagne restait quelque peu en reste par rapport à cet élan international, les pilotes espagnols admiratifs lisaient dans la presse des articles relatant ces exploits. Le 18 février 2016 Jean Marie Mermaz et Juan Villamor mirent en ligne chez FlightSim.com une modélisation d’un Breguet XIX correspondant à un raid réalisé en 1926 par six pilotes militaires espagnols. Ce fichier contient un article de Jesús Salas Larrazábal décrivant par le menu les tenants et aboutissants parfois dramatiques de cette aventure qui menèrent ces aviateurs de Madrid à Manille. Voici pour commencer traduit par mes soins, un condensé en italique de cet écrit auquel j’ai rajouté quelques informations en police romaine et des illustrations d’époque.
Le 5 avril 1926, trois Breguet XIX, équipés des nouveaux moteurs Lorraine-Dietrich de 450 CV, décollaient de l'aérodrome de Cuatros Vientos près de Madrid à destination des lointaines Philippines.
MADRID MANILLE EN BREGUET XIX
L’Escadrille Elcano
Par Jesús Salas Larrazábal
En juin 1924 à l’occasion de l’achat de quelques Potez XV en France et suite au vol de retour vers la péninsule ibérique, le commandant José Carrillo et les capitaines Eduardo Gonzalez et Joaquim Loriga estimèrent nécessaires de réaliser un raid longue distance, par exemple vers l’Extrême Orient, à l’égal de ceux effectués par d’autres aviateurs étrangers. José Carrillo fut tué au cours d’une action de guerre au Maroc mais l’idée suivit son chemin et en compagnie du capitaine Martinez Esteve, Gonzalez et Loriga présentèrent en octobre 1924 un projet au Directeur de l’Aéronautique le général Soriano, nouvellement nommé à ce poste au mois de janvier précédent.
La direction envisagée par le commandant Carrillo était maintenue, l’Extrême Orient et même précisée, les Philippines découvertes par des grands navigateurs espagnols quelques siècles auparavant et à présent sous domination des Etats Unis. Des sponsors suggéraient d’autres destinations complémentaires comme l’Amérique du Sud de langue hispanique et la Guinée espagnole. L’objet d’un tel raid pour Esteve et Carrillo récemment disparu était d’asseoir la réputation aéronautique de l’Espagne aux yeux du monde, ainsi que les compétences de ses pilotes s’agissant de la navigation aérienne. Ils considéraient que les exploits aériens des Français, Portugais et Italiens n’étaient pas seulement motivés par des objectifs commerciaux ou mercantiles, mais aussi des raisons de prestige. C’est pour cela qu’ils choisirent les Philippines, dernier fleuron de l’empire colonial espagnol à présent perdu mais où la culture hispanique avait laissé, comme en Amérique du Sud, une empreinte indéniable.
Planification du Raid vers Manille
L’avion choisi fut le Breguet XIX au nombre de deux parmi les trente acquis auprès de l’avionneur français similaires à ceux que l’on commençait à fabriquer en Espagne. Le voyage devait durer 30 jours incluant 20 étapes d’un peu plus de 900 kilomètres chacune en moyenne. Le trajet le plus important était Le Caire Bagdad avec près de 1500 kilomètres et dix heures de vol. Les 900 litres d’essence embarqués octroyaient au Breguet XIX un rayon d’action supérieur aux 1500 kilomètres de cette étape. La charge utile de 220 kilos permettait d’emmener assez de vivres pour 5 jours, 50 kilos d’armement approprié pour faire face à tous dangers telles des bêtes sauvages et d’incontournables et basiques pièces de rechange. Les conditions météorologiques prévisibles sur le parcours imposaient un départ entre le 15 mars et le 15 avril en raison des fortes chaleurs régnant sur l’Irak et aux Indes à des époques plus avancées. On prit également en considération les périodes de mousson sans compter les typhons en mer de Chine à compter du 15 mai. Le projet fut finalement entériné et l’on commença avec Breguet l’adaptation de deux exemplaires restant à livrer. On remplaça le moteur de 400 CV par un autre du même fabricant, Lorraine-Dietrich, cette fois de 450 CV, on augmenta les quantités d’huile et carburant pour arriver respectivement à 100 et 985 litres. L’essence était répartie dans deux réservoirs ovales de 360 litres chacun situés de part et d’autre du fuselage en face du siège du pilote, un troisième de forme pareillement ovale et contenant 235 litres se trouvait dans la partie inférieurs du fuselage. Une nourrice de 30 litres était placée dans l’aile supérieure droite.
Les mises au point mécaniques prennent du retard
En décembre 1924 Joaquim Loriga et Martinez Esteve se rendent à Paris pour discuter avec les entreprises Breguet et Lorraine-Dietrich de quelques problèmes s’agissant de l’adaptation décrite ci-dessus et début 1925, ils décident de ramener les deux exemplaires à Madrid. Contraintes ou lenteurs administratives, l’autorisation leur est refusée. Colère de Martinez lequel de fil en aiguille se retrouve en détention au mois de février. Prévu en 1925, le raid se voit reporté en 1926 en raison de la sanglante guerre au Maroc qui perdure et où les Breguet XIX sont utilisés avec succès. Entretemps, Loriga avait néanmoins effectué quelques vols d’essai. Un des deux Breguet resté en Espagne et prévu pour le raid fit l’objet d’importantes modifications. Un moteur Hispano-Suiza de 500 CV et une capacité en essence de 2300 litres en totalité. Le 30 août 1926 le pilote Ignacio Jiménez réalise avec cet exemplaire un vol de 1960 kilomètres en 13 heures et 30 minutes.
Les préparatifs
En décembre 1925 l’autorisation est publiée au Journal Officiel espagnol concernant les trois vols envisagés au départ : Buenos Aires, Manille et Fernando Poo en Guinée espagnole. Lorsque ces autorisations tombèrent le capitaine Martinez Esteve malade et en convalescence fut remplacé par Eduardo Gonzalèz Gallarza. Gallarza et Loriga s’empressèrent de préparer les appareils mais les ateliers militaires de l’aérodrome de Cuatros Vientos ne pouvaient tenir les délais imposés en regard de la charge habituelle de travail. On fit appel à des mécaniciens spécialisés des entreprises étrangères concernées.
Un Raid en quatre phases
Au retour de sa convalescence, Esteve constate l’énorme retard dans les préparatifs. Un des appareils ne fut prêt qu’à la veille du jour prévu pour l’envol, la durée du voyage s’appuyait sur des estimations qui pouvaient être bouleversées. Le périple était composé de quatre parties distinctes, traversée de la Méditerranée par l’Afrique du Nord jusqu’au Caire, survol du Moyen Orient jusqu’à Karachi, puis les Indes et l’Asie du sud-est avec Rangoon comme objectif et en définitive, longer les côtes orientales de l’Indochine et chinoises puis franchir la mer de Chine jusqu’à l’ile de Luzon aux Philippines. Les régions survolées présentaient des appartenances diverses, Alger était sous domination française, Tripoli et Benghazi italienne, Le Caire et Bagdad sous autorité anglaise, Bushire et Bender Abbas était en Perse aujourd’hui l’Iran, Karachi Agra Calcutta et Rangoon faisaient partie de l’Empire Britannique, Bangkok était la capitale du Siam à présent Thaïlande, Saigon et Hanoi était sous Protectorat français et Macao était la dernière colonie portugaise sur la côte chinoise. Les dernières étapes étaient sous souveraineté chinoise, japonaise et nord-américaine puisque Tokyo et Washington contrôlaient les iles de Formose et de Luzon. Sans aérodrome permanent à Manille on décida d’improviser arrivé sur place.
Evaluation des risques
La première phase Madrid - Le Caire ne présentait pas de difficulté particulière. La région très peuplée et parsemée d’aérodromes militaires jouissait de conditions climatiques semblables à celle du Protectorat espagnol au Maroc que les pilotes connaissaient bien. Il en était tout autrement pour Le Caire – Bagdad, trajet le plus long essentiellement au-dessus de zones désertiques. Survolée régulièrement par les pilotes anglais, ceux-ci avait mis en place tous les 50 kilomètres des terrains d’atterrissage d’urgence identifiés alphabétiquement, lesquels réduisaient la dangerosité des vols. Néanmoins d’éventuelles embuches de tous ordres n’étaient pas impossibles. L’itinéraire Bagdad – Rangoon constituait une ligne aérienne d’ores et déjà connue de compagnies aériennes au départ de Londres, Paris, Amsterdam en direction de l’Australie et l’Indonésie. Cependant les différentes étapes étaient parfois longues.
Hanoi Macao une route peu connue
A contrario, la route Hanoi – Macao était moins connue. Des trente tentatives précédentes tentant de rallier l’Extrême Orient, seules 12 étaient arrivées à bon port, matériels et pilotes étant soumis à rude épreuve. Ce raid n’était pas aussi simple. La toute fin du parcours n’avait été effectuée à cette époque que par le raid aérien portugais de 1924. De plus le dernier survol maritime avant les Philippines n’avait aucun précédent. Le détour par Formose permettait de survoler une trainée d’iles jusqu’à celle de Luzon, ceci réduisant la conséquence dramatique d’une avarie en pleine mer ce qui n’était pas improbable après un tel périple. La grande inconnue c’était la résistance des moteurs, deux exemplaires de secours avaient été expédiés au 2/3 du chemin à Calcutta pour la bagatelle de 94 000 pesetas.
Départ vers le Caire via Alger Tripoli et Bengazi
Les trois Breguet XIX de l’escadrille Elcano décollèrent le 5 avril 1926 à 8 heures 15 minutes de Madrid Cuatros Vientos après dissipation d’un brouillard matinal. Deux heures plus tard ils atteignaient la Méditerranée entre Carthagène et Alicante à 1500 mètres d’altitude. Encore une heure et vingt minutes pour rejoindre la côte nord-africaine, puis une autre bonne heure jusqu’à l’aérodrome de Maison Blanche situé à 20 kilomètres au sud-est d’Alger. Durée du vol : un peu moins de cinq heures pour couvrir 900 kilomètres à une vitesse moyenne en accord avec les prévisions. Ce n’est qu’à 9 heures le matin du 6 avril qu’ils repartirent pour la deuxième étape en raison d’un épais brouillard. La météorologie prévoyait des nappes intermittentes sur la route de Tripoli. Martinez Esteve ayant pris l’air en dernier finit au bout de 300 kilomètres par perdre de vue ses compagnons en raison d’un banc brumeux particulièrement dense. A basse altitude le pilote suit la côte, après une heure il constate une surconsommation d’essence, 170 litres au lieu des 102 prévus. Conséquemment il met le cap sur Tunis prévoyant à proximité de décider de continuer ou non vers Tripoli. Une fuite dans le circuit de réfrigération du moteur en vue de la capitale tunisienne trancha pour lui. Esteve se posa sur l’aérodrome de Garras à 13 heures 15 minutes où la pompe à essence et le circuit d’eau furent réparés.
Les vents
Loriga et Gallarza quant à eux continuaient et quittèrent le rivage tunisien à l’heure prévue pour entamer leur vol maritime vers la Lybie. Trois heures plus tard, aidés par un vent arrière, ils se posaient à Tripoli. Esteve rejoint Tripoli le 7 avril, beau temps jusqu’à Gabès mais ensuite il essuya un violent orage accompagné de vents forts et de pluie. Ce même 7 avril Loriga et Gallarza effectuèrent l’étape Tripoli – Benghazi. Le vol maritime de 300 kilomètres au-dessus du golf de Syrte fut paisible malgré un vent contraire en fin de parcours. Pratiquement à la même heure où Esteve atteignait Benghazi le 8 avril, Loriga et Gallarza arrivaient au Caire. Durant deux des sept heures de vol, ils luttèrent contre un vent contraire.
Au pied de l’Obélisque
Le lendemain à 15 heures 30 minutes Esteve aperçu le delta du Nil et franchit le bras occidental entre Alexandrie et Le Caire. L’Escadrille Elcano était sur point d’avoir parcouru 4500 kilomètres depuis leur départ de Madrid. 20 minutes plus tard il atterrissait sur la base d’Héliopolis, lieu où se trouvait il y a 4000 ans la superbe ville d’Onou dont il ne reste qu’un grand obélisque érigée par le Pharaon Sésostris 1er à l’occasion de son premier jubilé. Loriga et Gallarza avaient réalisé cette première partie du périple en quatre jours et Esteve cinq. Le comportement du personnel au sol était magnifique, l’un des avions présentant un problème au radiateur, les réparations prirent du temps à tel point que les Espagnols restèrent sur place deux jours au lieu d’un préalablement planifié.
Le Caire Bagdad une étape funeste
Cette étape, la plus longue, était considérée comme la plus difficile puisqu’elle traversait le sud du désert de Syrie à savoir la Jordanie. Etant donné la distance le décollage s’effectua à 7 heures 15 minutes le 11 avril. Les trois Breguet prirent la direction de Port Saïd et Gaza en laissant sur la droite au sud le plus haut sommet du Sinaï. Puis ce fut Jérusalem et le survol du Jourdain et à gauche Nazareth et le lac de Tibériade, sur la droite la mer Morte. Ceci fait ils atteignirent Amman.
Un retard de Gallarza et l’atterrissage forcé de Martinez Esteve
L’appareil de Gallarza qui avait pris du retard au long de la côte égyptienne se détacha avant Gaza des deux autres et dû atterrir à 60 kilomètres d’Amman. Passé cette ville Loriga et Esteve, quant à eux bien décidés, pénétrèrent dans le désert lorsqu’une détonation secoua le Breguet d’Esteve lui causant une grande frayeur. Il s’agissait en fait de l’éclatement d’un pneu en raison de la forte chaleur. A proximité d’Amman le régime du moteur se mit à ralentir et Esteve, des 1800 mètres d’altitude où il se trouvait, piqua vers un champ où se poser. Le moteur finit par s’arrêter à 950 mètres du sol.
Où Loriga continue seul vers Bagdad
Loriga, ayant perdu de vue Esteve, se retrouve seul au-dessus d’une plaine aride sablonneuse à 3000 mètres d’altitude, niveau nécessaire pour éviter les nuages de sable risquant d’obturer le carburateur. Cette altitude était néanmoins insuffisant en regard de rafales de vent secouant le Breguet. Par endroit quelques amas de pierres et carrés de verdure apparaissaient, mais les repères mis en place par les Britanniques restaient difficiles à visualiser.
Vers 3 heures de l’après-midi Loriga et son compagnon Pérez aperçurent les reflets argentés du fleuve Euphrate, leur indiquant l’imminence de la fin d’étape. Ils furent très bien reçus par le personnel anglais de l’escadron 30, deux d’entre eux possédaient quelques notions d’espagnol. Quatre longues heures s’écoulèrent et c’est à la nuit tombante que le Breguet de Gallarza apparut à l’horizon. Le jour suivant 12 avril ils étaient toujours sans nouvelle d’Esteve et de son compagnon Calvo si ce n’est un rapport faisant de la découverte de l’avion vide.
Les mésaventures d’Estève et Calvo dans le désert
Suite à leur atterrissage forcé du 11 avril les deux aviateurs se penchèrent sur leur moteur et trouvèrent l’avarie.
Une pièce du collecteur d’essence en provenance des différents réservoirs était percée, de ce fait le carburant n’arrivait plus au moteur et s’était répandu à l’extérieur. La panne fut réparée en 30 minutes mais faute d’essence ils ne pouvaient repartir, seule solution attirer l’attention de pilotes anglais passant dans les parages. Pour ce faire ils se mirent à brûler de l’huile espérant que le nuage de fumée noire serait visible de loin. Ils déployèrent également au sol des signes de fortune, linge blanc, housses noires du moteur et des hélices. A l’ombre des ailes, ils attendirent en buvant l’eau des bouteilles thermos qu’ils avaient à bord. A 4 heures deux avions survinrent, passèrent à leur verticale sans les voir et disparurent dans le lointain. Une heure avant le crépuscule une autre patrouille les survola de nouveau à 200 mètres d’altitude sans résultat. La nuit venue ils dormirent à tour de rôle, leurs armes à portée de main et emmitouflés dans leurs vêtements de cuir, ce qui ne les empêcha nullement de grelotter de froid. Au soir du 12 avril quelques patrouilles aériennes étaient de nouveau passées sans les voir. Estève décide en désespoir de cause d’abandonner l’avion et de se diriger vers une caravane de bédouins qu’ils avaient aperçue la veille entre Amman et leur point d’atterrissage. Ils emportèrent avec eux de l’eau dans quelques bouteilles thermos et dans un pneu, un peu de nourriture, des armes une carte et des chaussures de rechange, laissant accroché aux montants de l’aile un message en différentes langues explicitant l’avarie, l’heure de départ et la direction empruntée.
Le chamsin
Calvo connaissait bien la position des étoiles ce qui les aida en marche nocturne. A l’aube un vent agréable du nord-est se mit à souffler mais sous le coup des 8 heures le chasmin brûlant du désert s’imposa, les obligeant à boire l’eau des thermos et celle du pneu au goût particulièrement désagréable. Quelques heures avant la nuit ce vent tomba mais Calvo à bout de force s’endormit profondément. Le 14 au matin ils apaisèrent leur faim à l’aide de délicieuses racines extraites du sol à l’aide d’un outil. Le soir venu Estève laissant Calvo endormi partit explorer les environs, mais au retour celui-ci avait disparu, sans doute enlevé par des Bédouins. Estève marcha vers l’ouest toute la nuit, au matin du 15 avril il aborda une zone légèrement bosselée. Soudainement une nouvelle patrouille anglaise le survola à 50 mètres d’altitude mais s’éloigna sans le voir. Sa dernière paire de chaussures usée, il poursuit sa marche pieds nus. Peu de temps après ceux-ci étaient couverts de profondes blessures sanguinolentes coagulant rapidement sous l’effet du soleil.
La fin du cauchemar
Au matin du 16 Estève se réveille avec une forte fièvre mais se remet en route. Dans l’après-midi il est enfin retrouvé par le lieutenant Coggle et le capitaine Maxwell de la 47ème escadrille britannique. Comble de malchance Maxwell a cassé son train d’atterrissage en se posant sur le sol accidenté les obligeant à passer la nuit dans le désert, la 6ème pour Estève. Le 17 Ils rejoignent le campement et terrain d’atterrissage « D » proche d’Amman, le même jour à 13 heures les Anglais retrouvent et rachètent Calvo. Deux heures plus tard les deux espagnols sont enfin réunis et se racontent leur odyssée respective. Toute sa vie Calvo garda gravé dans sa mémoire ces sept jours de souffrance. L’Emir Abdallah 1er (1882-1951) grand père du roi Hussein de Jordanie (1935-1999) s’efforça de rendre leur séjour le plus agréable possible et surtout l’attente de la réponse de Madrid quant à continuer ou non leur périple. Le 21 avril Madrid dit non, compte tenu que les deux autres Breguet XIX de Gallarza et Loriga étaient entretemps arrivés à Calcutta.
Gallarza et Loriga poursuivent vers Karachi
Le mardi 13 avril 1926 sous un ciel couvert lourd de menaces et un fort vent du sud-ouest, Gallarza et Loriga étaient divisés quant à reprendre ou non le cours de leur voyage. Mais malgré la superstition et les avis défavorables des pilotes anglais de s’envoler par un tel temps, ils décollèrent et disparurent rapidement dans les nuages. Ils suivirent isolément les fleuves Tigre et Euphrate et s’engagèrent au-dessus de la mer. Une heure et demie plus tard ils se retrouvèrent à Bouchir, un vent favorable les avait aidés à traverser les territoires inhospitaliers et abrupts du Sud de la Perse. Les deux étapes du jour représentaient 1500 kilomètres, soit l’équivalent et même un peu plus que le parcours du 11. La compagnie pétrolière Shell qui assura sans faille à quelques exceptions près le ravitaillement de la patrouille tout au long du raid réalisa une prouesse en préparant l’approvisionnement rapide en carburant à Bouchir qui n’était qu’une petite bourgade de pêcheurs. L’agence de la Shell à Karachi était un modèle du genre car en plus du ravitaillement en huile et en essence c’est là que le 14 avril Gallarza et Loriga apprirent le sauvetage d’Estève et Calvo. Les 1250 kilomètres reliant Bandar Abbas à Karachi furent parcourus en sept heures et trente minutes sous un soleil ardent et un vent violent. Arrivés à Karachi après 8550 kilomètres, pratiquement la moitié de la distance totale, certains calculs étaient positifs. 1221 kilomètres franchis par journée de vol en moyenne et en tenant compte des trois jours d’arrêt (deux au Caire et un à Bagdad) cette valeur retombait à 855 kilomètres ce qui était tout à fait honorable. Georges Pelletier Doisy (1892-1953) sur Breguet XIX A2 et Breguet XIV lors de son raid Paris Tokyo en 1924 n’avait pas atteint 500 kilomètres par jour. L’accueil des Anglais fut comme précédemment parfait ainsi que celui des missionnaires jésuites espagnols du Collège San Patricio.
Le vol vers Saigon
Passer par les Indes ne pouvait que provoquer une baisse de régularité, un jour de repos à Karachi et un autre à Agra n’étaient pas de trop pour les désormais quatre aviateurs suite à l’étape Karachi - Agra. La chaleur suffocante et les rafales de vent en découlant secouaient les avions, ce qui entraina deux jours de repos arrivé à Calcutta. Auparavant le temps libre à Agra permit aux quatre hommes de visiter le Taj Mahal construit par l’empereur Moghol musulman Shâh Jahân (1592-1666). Bien que plus long que le précédent trajet, le parcours Agra – Calcutta, capitale des Indes jusqu’en 1911, sembla moins éprouvant aux Espagnols mais les capots des moteurs présentaient des crevasses arrivé à destination. Les deux journées de pause furent mises à profit pour réparer. Gallarza et Loriga réalisèrent l’étape Calcutta – Rangoun en sept heures et trente-deux minutes. Ils volèrent au-dessus des nuages compte tenu d’une brume recouvrant le golfe du Bengale. Au hasard de trouées ils aperçurent de vastes étendues boisées d’où émergeaient des exemplaires gigantesques du royaume végétal, De loin en loin des champs de canne à sucre et de coton, des trigales où trois routes se rencontrent, des prairies et des localités en partie occultées par la végétation, composées de maisons de bambou surélevées par des pieux.
Presque un succès
Le 22 avril ils arrivèrent à Bangkok, 11ème étape du voyage après un vol au travers de formations nuageuses. Les pilotes espagnols étaient porteurs d’une lettre du Roi d’Espagne Alphonse XIII (1886-1931) à l’attention du Roi de Siam Rama VII (1893-1941), qu’ils remirent au chef d’état-major dans l’après-midi, celui-ci étant le frère du Roi. Le lendemain ils visitèrent la resplendissante capitale du Siam que d’aucuns nomment la Venise de l’Orient en raison d’une profusion de canaux traversant la ville. Sur les conseils du général en charge des affaires aéronautiques du Siam, ils modifièrent le parcours de la 12ème étape Bangkok - Saigon. Afin d’éviter des massifs montagneux élevés proches du littoral, ils s’enfoncèrent dans les terres jusqu’à Phnom-Penh capital du Cambodge.
Lorsque les deux Breguet XIX atterrirent à Bien Hoa terrain situé à 25 kilomètres de Saigon le samedi 24 avril 1926, les statistiques étaient les suivantes : 1162,5 kilomètres par journée de vol et 700 kilomètres par jour calendaire incluant les escales de repos et de maintenance. Tout cela sur un parcours de près de 14000 kilomètres.
Des difficultés entre Saigon et Macao
Le Trajet Saigon – Vinh – Hanoi – Macao long de 2100 kilomètres en totalité et dont la tranche la plus longue faisait 1000 kilomètres causa aux aviateurs plus de soucis comparé au reste du raid. Après avoir décollé le dimanche 25, le carburateur d’un des deux Breguet, celui de Loriga, fonctionnait mal en raison d’un nuage de moustiques qui avait obstrué le filtre d’entrée d’air l’obligeant à rebrousser chemin vers Saigon. Le lendemain Loriga essaya de rejoindre Gallarza mais il fut confronté à de nouveaux problèmes de carburation qui l’obligèrent à se poser à Hué. Malheureusement le personnel français au sol n’était en mesure de réparer immédiatement, néanmoins Loriga et Pérez passèrent leur première nuit au frais depuis le Caire. Le 26 Gallarza arrive à Vinh suite à huit longues heures de vol surplombant une mer de nuages toute blanche, le seul repère consistait en un pic enneigé à 100 kilomètres sur la gauche faisant partie des sommets d’une chaîne montagneuse longeant le fleuve Mékong. Au bout de huit heures il descendit sous la couche nuageuse afin de voir où il se trouvait, Il avait passé Hué et se posa à Vinh pour reprendre 100 litres d’essence d’appoint lui permettant de rallier Hanoi sans encombre ce même jour. Ce complément de carburant réalisé en dix minutes et deux autres longues heures de vol plus tard Gallarza et son compagnon Arozamena se posaient sur l’aérodrome militaire de Bach-Mai où ils furent accueillis par le personnel français, ainsi que cinq Dominicains espagnols de la mission de Nam-Dinh. Si l’on met de côté les dix minutes à Vinh les deux hommes étaient restés en l’air dix heures et trente-cinq minutes d’affilé, un record au cours de ce raid.
Un final accidenté
Le 27 avril les quatre aviateurs étaient de nouveau réunis à Hanoi où ils séjournèrent trois jours, Arozamena souffrant d’une infection buccale. Ils repartirent le samedi 1er mai pour Macao et la poisse s’acharna sur les deux équipages. En raison d’une rupture de soudure dans le circuit de refroidissement, Loriga atterrit en urgence à Tien Pack sur la côte chinoise méridionale. Gallarza heurta un arbre en se posant sur l’étroit terrain de football de Macao. Sur les conseils du commandant portugais Sarmento de Beires via un courrier Loriga et Gallarza pensait choisir Canton au lieu de Macao où hormis une splendide hydrobase il n’existait pas d’aérodrome digne de ce nom, restait le terrain de football inadéquat pour des aéronefs par trop lourds. Malheureusement des troubles révolutionnaires éclatèrent en Chine et la compagnie Shell ne pouvait assurer le ravitaillement en essence et huile à Canton. Gallarza dut se résoudre à poser le Breguet sur une surface de 400 mètres de longueur et 100 mètres de large, l’ensemble entouré de tous côtés par des arbres et des lignes à haute tension. Les repères au sol mal compris par le pilote facilitèrent l’accident. Bien qu’à petite vitesse le choc provoqua des dégâts divers au niveau du fuselage. Parmi les réparations nécessaires une pièce en duralumin posait problème car on ne pouvait la redresser sans risquer de la casser.
L’attente à Macao
Les autorités portugaises sur place reçurent les deux Espagnols tels des compatriotes et mirent à leur disposition les ateliers du port. De plus deux mécaniciens anglais de l’Aéronavale Britannique arrivèrent rapidement de Hong Kong pour prêter main forte. Par ailleurs quelques canonnières se mirent à la recherche de Loriga et Perez. Le 4 mai les deux aviateurs étaient retrouvés sains et saufs et l’avion de Gallarza, bien que les réparations laissaient à désirer, effectua un vol d’essai. Les choses semblaient vouloir s’arranger et les chances de poursuivre jusqu’à Manille même avec un seul avion augmentaient, ceci posé une fin de raid à Macao n’aurait pas constitué pour autant un échec. Ils avaient d’ores et déjà amélioré le record établi par Sarmento de Beires deux ans auparavant, les quatre-vingts jours de l’expédition portugaise étaient ramenés à vingt-sept et le nombre d’étapes de vingt-quatre à quatorze. Gallarza n’avait pas eu besoin de changer d’avion, son Breguet XIX surpassait aisément le XIV du pilote portugais qui avait dû se contenter d’un vieux De Havilland DH9 en remplacement.
Autorisation de poursuivre le raid
Arrivé à Macao Gallarza comptabilisait encore et en moyenne 1143 kilomètres par journée de vol et près de 600 kilomètres par jour calendaire. Loriga et Gallarza voulaient aller jusqu’au bout du voyage, ils avaient demandé l’envoi d’un des deux moteurs en réserve à Calcutta mais il ne serait pas à Macao avant douze jours. L’époque des typhons se rapprochant dangereusement, ils décidèrent de faire l’impasse sur le détour par Formose et de piquer vers l’ile de Luzon dans l’unique Breguet disponible. Leurs mécaniciens resteraient à Macao, toutefois ils attendaient les instructions de Madrid. Entretemps les quatre Espagnols étaient traités comme des rois à Macao, les Portugais oubliant certaine querelles traditionnelles opposant les deux pays de la péninsule ibérique. Ils firent siennes les propos des marins de la canonnière qui avaient récupéré Loriga et Perez : « Espagnols et Portugais, c’est la même chose ». Les instructions arrivèrent de Madrid le 9 mai, Loriga et Gallarza devaient continuer seuls à bord de l’unique Breguet en état de voler après essai. Le départ était prévu le 11 mai, étant donné les risques d’un survol essentiellement maritime quatre navires français et portugais seront envoyés en patrouille au long du tracé.
Le vol vers Luzon et l’arrivée à Manille
Au jour dit les deux pilotes décollèrent à 7 heures et 25 minutes sous un ciel couvert, à 11 heures ils passèrent au sud de l’ile de Patras. Ils atteignirent Appari à 14 heures et 20 minutes suite à un peu moins de sept heures de vol.
Deux aviateurs nord-américains les attendaient accompagnés d’une foule enthousiaste. Dès qu’ils purent se débarrasser de leurs admirateurs Loriga et Gallarza envoyèrent un message aux navires d’escorte les prévenant qu’ils étaient arrivés à bon port tout en les remerciant chaudement de leur aide. Le lendemain l’étape finale fut une véritable promenade, à mi-chemin douze appareils de l’armée de l’air américaine les escortèrent jusqu’à Manille où ils se posèrent à 11 heures et 20 minutes et les treize jours qui suivirent furent inénarrables. Ils reçurent le 13 mai le titre d’ingénieur honoris causa à l’université catholique de saint Thomas. Le 18 Don Manuel L. Quezon Président du Conseil Suprême National déclara : « Gallarza et Loriga n’ont pas seulement ouvert une route commerciale mais ils nous ont amené surtout l’affection de notre Mère l’Espagne ».
Appareil conseillé : breguet19_elcano.zip chez FlightSim.com modélisation de Jean Marie Mermaz et texture de Juan Villamor.
GPS recommandé et repérages sur la carte du simulateur.
Il est clairement indiqué dans l’article ci-dessus que les trois Breguet XIX de ce raid embarquaient 985 litres d’essence. Malheureusement la modélisation propose selon le panneau de carburant du simulateur 427,8 litres à 100%. La bonne vieille règle de trois va nous permettre d’évaluer le pourcentage correspondant à 985 litres.
100% divisé par 427,8 litres et multiplié par 985 litres = 230%
Prenons l’exemple de la 5ème étape Le Caire – Bagdad réputée la plus longue.
Décoller du Caire avec les 100% de carburant, laisser la consommation faire son œuvre jusqu’à descendre à 10%. Rajouter 40% et vous arriverez sans encombre à Bagdad. La totalité de carburant embarqué s’élève à 150%. Ceci étant tout dépend du type de météo choisie, programmée d’origine (pour exemple beau temps) ou réelle avec les aléas venteux que l’on sait (vent arrière favorable ou de face).
Fort heureusement la touche « Z » du clavier permettant de stabiliser le cap est opérationnelle. Le maintien de l’altitude se fait en augmentant ou ralentissant le régime du moteur.
Cette modélisation est fort logiquement sur le plan historique dépourvue de GPS, ADF et encore moins de VOR. Un simple compas indique le cap suivi. Afin de garder le bon cap voici la méthode à suivre :
Prenons l’exemple de la première étape Madrid – Alger.
1/ Positionner sur l’aérodrome concerné (Cuatro Vientos LECU) un avion équipé d’un GPS.
2/ Entrer dans le GPS l’identification de l’aérodrome de destination (DAAG). Ceci fait et après avoir cliqué sur ENT le tracé rouge apparaitra sur l’écran GPS ainsi que le cap à suivre en haut à gauche.
3/ Remplacer cet avion au profit du Breguet XIX. Ce tracé rouge est toujours présent sur la carte du simulateur. Il suffit donc à intervalle régulier (toutes les 15 à 30 minutes) de revenir sur cette carte afin de vérifier la position du Breguet en regard du tracé rouge et d’effectuer le cas échéant les corrections nécessaires.
Autre option, positionner directement le Breguet XIX sur l’aérodrome concerné (Cuatro Vientos LECU) et créer via l’organisateur de vol un trajet VFR entre Madrid LECU et Alger DAAG. Ce trajet s’inscrira sur la carte du simulateur.
Un dernier détail et non des moindres, après avoir été choisi le Breguet XIX se présente à l’écran le capot moteur au sol. La formule suivante permettra de le repositionner : Shift + Ctrl et C ou V. A noter que les lettres C ou V doivent être chacune actionnées à plusieurs reprises, le capot se déplaçant progressivement de haut en bas et l’inverse.
ESPAGNE → ALGERIE
5 avril 1926 : Madrid (Cuatro Vientos LECU) /395mn/ Alger (Maison Blanche – Houari Boumediene DAAG)
ALGERIE → LYBIE
6 avril 1926 : Alger (Maison Blanche – Houari Boumediene DAAG) /546mn/ Tripoli (Tripoli Intl HLLT)
LYBIE
7 avril 1926 : Tripoli (Tripoli Intl HLLT) /363mn/ Benghazi (Benina HLLB)
LYBIE → EGYPTE
8 avril 1926 : Benghazi (Benina HLLB) /585mn/ Le Caire - Héliopolis (Almaza AB HEAZ)
EGYPTE → IRAK
11 avril 1926 : Le Caire - Héliopolis (Almaza AB HEAZ) /680mn/ Bagdad (Baghdad Intl ORBS)
IRAK → IRAN
13 avril 1926 : Bagdad (Baghdad Intl ORBS) /426mn/ Bouchir OIBB
IRAN
13 avril 1926 : Bouchir OIBB /312mn/ Bandar Abbas (Bandar Abbass Intl OIKB)
IRAN → PAKISTAN
14 avril 1926 : Bandar Abbas (Bandar Abbass Intl OIKB) /598mn/ Karachi (Jinnah Intl OPKC)
PAKISTAN → INDES
16 avril 1926 : Karachi (Jinnah Intl OPKC) /599mn/ Agra (Agra AB VIAG)
INDES
18 avril 1926 : Agra (Agra AB VIAG) /632mn/ Calcutta – Kolkata (Netaji Subhash Chandra Bose I VECC)
INDES → BIRMANIE - MYANMAR
21 avril 1926 : Calcutta – Kolkata (Netaji Subhash Chandra Bose I VECC) /554mn/ Rangoun – Yangon (Yangon Intl VYYY)
BIRMANIE – MYANMAR → THAILANDE
22 avril 1926 : Rangoun – Yangon (Yangon Intl VYYY) /315mn/ Bangkok (Bangkok Intl VTBD)
THAILANDE → CAMBODGE → VIETNAM
24 avril 1926 : Bangkok (Bangkok Intl VTBD) /286mn/ Phnom Penh (Cible GPS : Pochentong Intl VDPP – survol de la ville) /115mn/ Saigon – Hô-Chi-Minh-Ville (Tansonnhat VVTS)
VIETNAM
26 avril 1926 : Saigon – Hô-Chi-Minh-Ville (Tansonnhat VVTS) /483mn/ Vinh (aéroport non disponible sous FS (9) 2004 – Coordonnées : 18 39 63 N 105 41 98 E – Utiliser Shift + Z pour afficher les coordonnées en permanence afin de survoler la ville.
VIETNAM
26 avril 1926 : Vinh /145mn/ Hanoi (Nobai Intl VVNB)
VIETNAM → CHINE
1er mai 1926 : Hanoi (Nobai Intl VVNB) /437mn/ Macao (Macau Intl VMMC)
CHINE → PHILIPPINES
11 mai 1926 : Macao (Macau Intl VMMC) /507mn/ Appari (aéroport non disponible sous FS (9) 2004 – Coordonnées : 18 21 68 N 121 38 20 E – Utiliser Shift + Z pour afficher les coordonnées en permanence afin de survoler la ville.
PHILIPPINES
13 mai 1926 : Appari /234mn/ Manille (Nino Aquino Intl RPLL)